Le masking dans le TSA et le TDAH : entre survie, fatigue et superpouvoir invisible
- Adèle Wistrand
- 24 nov.
- 4 min de lecture
Le masking (ou camouflage social) désigne l’ensemble des stratégies conscientes ou inconscientes mises en place pour masquer ou atténuer un fonctionnement neuroatypique et coller aux codes sociaux attendus.
C’est une forme de mimétisme social, souvent invisible aux yeux des autres, qui vise à éviter le rejet, les remarques blessantes ou l’exclusion.
On parle aussi parfois d’être un caméléon.

Le masking est particulièrement fréquent chez les personnes avec un TSA (trouble du spectre de l’autisme) ou un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Ce n’est pas un jeu de rôle ou une mise en scène choisie : c’est une stratégie de survie profondément ancrée, souvent mise en place dès l’enfance.
Un phénomène particulièrement fréquent chez les femmes
Le masking touche tout le monde, mais il est nettement plus fréquent et plus intense chez les femmes. Une étude menée en 2020 (Hull et al.) montre que jusqu’à 80 % des femmes autistes déclarent recourir régulièrement à des stratégies de camouflage social, contre des taux bien moindres chez les hommes.
Cette capacité à s’adapter explique en partie pourquoi tant de femmes passent sous les radars du diagnostic : elles sont perçues comme “intégrées”, “brillantes à l’oral”, “sociables”, alors qu’elles s’épuisent en silence.
Ce qu’il se passe dans le cerveau quand on « porte un masque »
Le masking mobilise fortement plusieurs zones et fonctions cérébrales :
Le cortex préfrontal, siège du contrôle exécutif, est en première ligne. C’est lui qui coordonne la surveillance constante de soi, l’analyse de ce qui se passe autour, la prise de décision rapide sur « quoi dire » ou
« comment se comporter ».
Les réseaux attentionnels sont hyper-sollicités pour détecter en permanence les signaux sociaux, les émotions d’autrui, les normes implicites.
Le système limbique (régulation émotionnelle) doit inhiber les réactions spontanées pour éviter les décalages sociaux perçus.
Enfin, le système de stress (axe HPA, amygdale, cortisol) est souvent activé en toile de fond : le cerveau interprète inconsciemment l’interaction sociale comme un contexte à risque, ce qui maintient un état d’alerte prolongé.
Cette mobilisation constante est énergivore. Le cerveau dépense une grande quantité de ressources cognitives pour « tenir la posture sociale », au détriment des fonctions naturelles de repos, de régulation émotionnelle ou de concentration sur soi.C’est ce qui explique qu’une personne puisse s’effondrer en privé après une journée “parfaite” en public, ou ne plus réussir à parler, bouger ou réfléchir une fois seule (shutdown).
Comment le masking se manifeste ?
Le masking peut prendre des formes multiples :
Copier les intonations, expressions, gestes ou attitudes sociales perçues comme “acceptables”
Réprimer ou dissimuler ses stims (mouvements auto-régulateurs)
Préparer en amont des conversations pour donner le change
S’adapter à chaque groupe en modifiant sa manière de parler, de se tenir, voire ses centres d’intérêt
Une jeune fille m’a confié par exemple avoir un rire différent pour chaque groupe d’amis, comme un code secret pour s’y fondre. Une autre racontait qu’elle changeait de passions selon les personnes qu’elle fréquentait, pour garder ces liens. Ces stratégies ne sont pas anodines : elles demandent une énergie considérable
Un masque parfois si bien intégré qu’on ne s’en rend plus compte...
Beaucoup de personnes ne réalisent pas qu’elles pratiquent le masking… jusqu’à ce que leur corps ou leur esprit lâchent.Cette adaptation permanente peut devenir si naturelle qu’elle fait partie intégrante de l’identité.
Je me souviens d’un psychologue qui m’a un jour demandé : « Mais qui est la vraie Adèle ? » Cette question m’a profondément agacée, parce qu’elle nie une réalité essentielle : toutes les facettes de ce caméléon font partie de moi. Ce n’est pas une trahison de soi, mais une manière de naviguer dans le monde. Ce jour-là, je n’ai plus remis les pieds dans son cabinet. Ce n’est pas qu’il avait tort, mais je ne me suis pas sentie comprise.
Le masking : fatigue invisible et force sociale
Les répercussions à long terme
Vivre derrière un masque permanent peut entraîner :
Une fatigue chronique et des effondrements réguliers (shutdowns, meltdowns)
Un décalage identitaire : ne plus savoir ce qui est authentique ou adapté
Des relations superficielles ou déséquilibrées
Une perte de confiance en soi « réelle » au profit d’un rôle bien huilé
Des diagnostics retardés, donc une absence de soutien adapté pendant des années
Vers une réconciliation intérieure
Sortir du masking ne signifie pas abandonner ses facettes caméléon ou rejeter toute adaptation sociale. Il s’agit plutôt de :
Reprendre contact avec ses besoins réels, sensoriels et émotionnels
Créer des espaces où l’on peut exister sans jouer de rôle
Trouver des relations et des environnements où l’authenticité est possible
Reconnaître la valeur de ces stratégies sans les laisser définir toute son existence
Pour certaines personnes, ce travail commence au moment d’un diagnostic tardif, d’un burn-out ou d’une remise en question profonde. Un accompagnement psychopédagogique ou thérapeutique peut alors aider à comprendre les mécanismes, les alléger, et surtout à se réapproprier son identité dans toutes ses nuances.








